La vie de Gaston d’Orléans en quelques dates (Photo n°1)
25 avril 1608 – Naissance à Fontainebleau, 3e fils d’Henri IV après Louis et Nicolas.
17 novembre 1611 – Devient duc d’Orléans à la mort de son frère Nicolas et alors plus proche héritier de Louis XIII.
6 août 1626 – Épouse contre son gré Marie de Montpensier après avoir trempé dans la conspiration de son ami Henri de Talleyrand-Périgord, comte de Chalais exécuté le 19 août 1626.
1628 – Commande l’armée qui assiège La Rochelle.
1630-32 – Participe au complot du duc de Montmorency contre Richelieu. Publie un manifeste contre Richelieu.
2 janvier 1632 – Épouse contre l’avis de Louis XIII, Marguerite de Lorraine, sœur du duc de Lorraine en guerre contre la France.
1634 – Conclut un traité secret avec l’Espagne contre Richelieu.
1638 – Naissance du futur Louis XIV. Gaston n’est plus le plus proche héritier de Louis XIII.
1642 – Participe au complot du marquis de Cinq-Mars (exécuté le 12 septembre 1642).
1643-1645 – Mène le royaume de France à des victoires contre les Espagnols.
1648 – Participe à la Fronde contre Mazarin et Anne d’Autriche.
1652 – Exilé en son château de Blois.
2 février 1660 – Mort à Blois.
L’histoire appartient aussi aux vaincus pour ce qu’elle nous apporte des deux côtés de sa façade ; une fois le temps passé des lectures contemporaines, des relectures partiales dont la postérité s’empare souvent, l’histoire d’une vie n’est plus appréciative des talents ou de la réussite mais devient un kaléidoscope dont les usages historiques à long terme prennent tout leur sens. Gaston d’Orléans, frère malheureux de Louis XIII et son héritier direct de 1611 à la naissance du futur Louis XIV en 1638, véritable trublion et comploteur impénitent contre la monarchie incarne à merveille comment l’écriture d’une vie se métamorphose en l’écriture du sens d’une vie. Les historiens n’ont jamais été tendres avec Gaston jugé velléitaire et inconsistant ; ils commencent à peine de nos jours non pas à réhabiliter son image mais à réconcilier son caractère, ses actions, ses combats d’héritier du trône qui lui ont valu bien des ennemis et des détracteurs, et les principes d’un siècle, véritable tournant de l’absolutisme français où s’opposaient la liberté et l’autorité, le libertinage et la dévotion.
Gaston d’Orléans, un roi « fantôme »
La vie de Gaston d’Orléans est façonnée par les hasards de la succession. Né en 1608, il vit dans l’ombre protectrice d’une mère, Marie de Médicis (1575-1642, Photo n°2 – par Pourbus le Jeune, 1610), devenue veuve après l’assassinat d’Henri IV le 14 mai 1610 et peu affectueuse envers le nouveau roi, Louis XIII, son fils aîné. Toujours très près du trône pour ne pas dire, en cas de décès de son frère souvent malade, toujours roi potentiel, Gaston fut toute sa jeunesse un enjeu politique d’alternative pour ceux qui contestaient les menées du cardinal de Richelieu (1585-1642) : sa mère Marie dans la guerre qu’elle mena contre son fils en 1618-1620 puis contre Richelieu jusqu’à sa mort en 1642 , les nobles qui luttaient contre une politique visant à les asservir, les Espagnols en guerre contre un roi capable de s’allier à des puissances protestantes au mépris de la religion du pape, le peuple enfin, accablé d’impôts, pour qui Gaston paraissait être le médiateur idéal. En un siècle où le « devoir de révolte » de la noblesse était sévèrement remis en cause, voire étouffé, où l’État minait toutes les expressions des libertés traditionnelles, un tel prince ne pouvait qu’attirer les clans et les partis alternatifs.
Un héritier du trône était à la fois un opposant potentiel et un futur monarque. On a du mal à comprendre de nos jours ce mécanisme contradictoire qui faisait qu’un fils de France était un prince à l’écoute de son royaume, de ses sujets et de ses malheurs mais également un homme délié de certaines obligations. Roi « fantôme » en quelque sorte, comme une alternative à la politique royale quand les enjeux le méritaient, Gaston a lutté contre la « tyrannie » de Richelieu, a participé à la plupart des complots contre lui et s’est marié avec une princesse étrangère par amour et contradiction. Déterminé sans toujours être à la hauteur de sa tâche, ce prince « libre » fut un contre-jour à la politique de son frère Louis XIII mais il combattit avec fidélité auprès de lui les Protestants comme les Espagnols (Photo n°3).
Après la mort de Richelieu (1642) et de Louis XIII (1643), il fit preuve d’une grande habileté négociatrice en favorisant l’avènement de sa veuve Anne d’Autriche (1601-1666) et de son cardinal Mazarin (1602-1661). Lieutenant du royaume sans détenir la régence, il fut plus sage dans le rôle de l’oncle du jeune Louis XIV que dans celui du frère de Louis XIII. Animé d’une volonté d’équilibre, il sut à la fois favoriser le Parlement et l’ordre royal pendant la Fronde (1648-1652) et fit de son exil dans son château de Blois une époque dorée. Sa cour est demeurée un lieu d’échanges et d’expériences où se côtoyaient les contraires, libertins et dévots, partisans de l’ordre traditionnel comme apôtres de l’absolutisme. Amateur d’art, grand collectionneur, mécène, constructeur d’une aile qui porte son nom dans son château, il fut aussi le protecteur des poètes et des artistes à l’époque où Richelieu devait les embrigader dans l’Académie française créée en 1635. Nul doute que s’il avait hérité de la couronne, il aurait chaussé comme ses ancêtres les bottes de la royauté et de l’intérêt de l’État.
Sa largesse d’esprit et son sens de l’équilibre en firent un prince « idéal » à la fin de sa vie parce que sans doute il ne porta jamais la couronne. C’est en cela qu’il incarne toutes les contradictions de la politique d’opposition qui n’accède jamais au pouvoir: un certain panache, une grande liberté d’esprit et de paroles. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appela « le père de la patrie », le « bon duc d’Orléans » ou le digne fils de son père Henri IV. L’opposition lui allait bien tandis qu’il rêva sans cesse du pouvoir ; ce fut le drame de sa vie comme de sa postérité : un cadet trublion et sans cervelle, opposé à la politique de Richelieu et pourtant selon l’avis de beaucoup comme Mme de Motteville (1615-1689) « ayant toujours eu cette inclination d’accommoder les affaires plutôt que de les aigrir » (Mémoires). Tête chaude et tête froide, Gaston d’Orléans est pétri de contradictions qui rejoignent néanmoins l’outillage mental de l’époque où la politique était un savant mélange de raisonnement, de dignité, d’honneur et de respect des devoirs.
Gaston d’Orléans, un « beau prince né pour les plaisirs » et contraint par son statut
Roger de Bussy-Rabutin (1618-1693), lieutenant des armées de Louis XIV qui a été l’un de ses amis écrit dans ses Mémoires que « C’était un beau prince, né pour les plaisirs, qui avait l’esprit agréable, qui savait mille belles choses et qui parlait le mieux du monde en public ». Gaston avait en effet des qualités qui pouvaient faire de l’ombre à un aîné sur qui pesaient toutes les responsabilités du pouvoir. Louis XIII (Photo n°4) n’a ni sa jovialité, ni sa grâce ; il n’aime pas le luxe et comme homme, il a la réputation d’être rancunier, mesquin, jaloux, maladroit avec les femmes. Il n’est jamais à l’aise en société et à la Cour. En tant que roi toutefois, Louis XIII a un sens affûté du devoir et s’il finit par partager les opinions de Richelieu, il ne s’en laissa jamais compter contrairement à la légende. Son frère, de l’autre côté du trône, est beau, gai, turbulent et ne cesse de s’étourdir en faisant les 400 coups autour de compagnons qu’il nomma son « Conseil de Vauriennerie ». Il joua le rôle de challenger et l’épisode du complot de Chalais en 1626 fut emblématique de sa position comme de son sort. Ses relations avec son frère prirent un mauvais tour lorsque Louis XIII, pour plaire à sa mère, renvoya son gouverneur, le comte Jean-Baptiste d’Ornano (1581-1626). Il fut si insupportable qu’il obtint son retour au bout de trois mois. Pour calmer cet héritier présomptif du trône, Marie de Médicis qui avait repris la main sur ses enfants, entendit le marier à Marie de Montpensier. Elle était bien la seule à le désirer, car personne n’y trouvait son intérêt, à commencer par le Roi et la Reine, et derrière eux les Grands. Il semble établi qu’Anne d’Autriche s’était engagée dans le parti qu’on appela de « l’aversion au mariage » dans un contexte particulier qui regardait, et la santé très précaire du roi et les intérêts de l’Espagne. En l’absence d’héritier et vus les risques probables de décès du souverain, il était courant de supputer sur le devenir de la reine. Un remariage avec son beau-frère n’était pas à exclure, Louis XII n’avait-il pas épousé Anne de Bretagne en 1599 veuve de son prédécesseur Charles VIII. Marié, ce dernier n’était plus un recours et on ne pouvait plus tirer sur cette ficelle.
Un ancien espion au service de Richelieu illuminé par le charme de la duchesse de Chevreuse (Marie de Rohan, 1600-1679) Henri de Talleyrand-Périgord (1599-1626), comte de Chalais (Photo n°5), fut la cheville d’un complot contre Richelieu (et dit-on la vie même du roi) dans lequel il entraîna Gaston. Lorsque le roi eut vent de ce complot, on arrêta tout ce joli monde et Gaston, interrogé avoua tout ; il ne craignit pas non plus d’éclabousser Anne d’Autriche : « L’opposition que les dames faisaient, révélait-il, était afin que, si le roi venait à mourir, la reine pût l’épouser ». Anne fut entendue devant un Conseil où Louis XIII, Richelieu et Marie de Médicis étaient les juges mais elle n’avoua rien. Elle reçut une leçon de morale et Marie de Médicis l’engagea « à vivre comme les autres reines de France ». Gaston finit par se résigner à épouser Marie de Montpensier dont la laideur était légendaire et malgré les suppliques d’Anne, le comte de Chalais fit les frais de l’affaire en étant exécuté dans des conditions particulièrement horribles le 19 août. Ce mariage qui fut rompu à la mort précoce de Marie de Montpensier moins d’un an plus tard (4 juin 1627) donna un fruit qui fut digne de son trublion de père : la « Grande Mademoiselle », Anne-Louise d’Orléans (1627-1693).
« Il n’avait rien, sans exception de tout ce qui peut distinguer un grand homme » (Cardinal de Retz, Mémoires)
Cette phrase issue de l’un des plus grands best-sellers du XVIIIe siècle et de l’une des plumes les plus acérées de sont temps, a marqué pour toujours la réputation de Gaston d’Orléans. Le cardinal de Retz (Photo n°6) a tracé dans ses mémoires le portrait d’un esprit beau et éclairé mais d’un homme politiquement handicapé, faible et irrésolu. Ancien frondeur et conseiller de Gaston d’Orléans, le mémorialiste justifia du même coup sa propre politique mais céda pour la postérité à un jugement qui satisfit les partisans de la monarchie absolue. À partir de sa mort en 1660, Gaston d’Orléans fut l’objet d’une véritable mise en coupe réglée au service d’une monarchie qui ne devait faillir sous aucun prétexte face aux rebellions quelles qu’elles soient. Louis XIV fit par exemple tout ce qui était dans son grand pouvoir pour empêcher que l’oraison funèbre écrite par l’oratorien Jean-François Sénault (1599 ou 1604-1672) soit publiée. Une lettre de l’évêque de Coutances à Mazarin, datée du 16 février nous en livre la teneur précieuse, notamment « qu’il y a des choses, écrit-il, que l’on se serait bien passé de dire ». En effet, le portrait de Gaston d’Orléans était un contrepoint de la politique de Louis XIII et désormais celle de Louis XIV. On y regardait le duc d’Orléans comme le « médiateur entre le roi et ses sujets », celui qui fit « une heureuse alliance de la souveraineté de monarque avec la liberté de ses sujets ». La Fronde pansait à peine ses plaies que le triomphe de Mazarin s’effaçait devant le courage et la valeur de Gaston « puisque les peuples n’y admirent presque aucune qualité que celle-là ». Qu’un ancien ennemi qui se réconciliait au même moment avec le Roi, en la personne de Louis II de Bourbon-Condé (Le Grand Condé, 1621-1684) soit courageux, soit, mais un frère du Roi, héritier présomptif de la couronne pendant vingt-huit ans, inlassable comploteur et rebelle, jamais.
Louis XIV se souviendra de la leçon lorsqu’il confina son neveu Philippe II d’Orléans (1674-1723) à des actions peu en vue parce qu’il lui faisait de l’ombre et qu’on voyait en lui un futur Henri IV. Philippe attendra la mort du Grand Roi pour devenir « régent de France » et en effet bouleverser les habitudes, réformant beaucoup, tout en préservant l’autorité du jeune Louis XV (1710-1774). Les historiens ont retenu avec attention toutes les leçons de Louis XIV en même temps qu’un irrépressible besoin de voir en Gaston celui qui s’opposa à Richelieu (Photo n°7) avec beaucoup de maladresses, d’indécisions et surtout peu de talent. L’empêcheur de tourner en rond de l’État moderne c’est désormais lui. L’historiographie de Gaston d’Orléans se confond avec celle de la turbulence des Grands contre la mesure rationnelle des ministres de Louis XIII et de Louis XIV. Sa faiblesse et son impéritie politiques sont celles d’un autre âge.
Un prince vaincu doublé d’un faible en politique
Ce fut à Charles Perrault (1628-1703), célèbre pour ses Contes, que revint la responsabilité de ne pas inclure le duc d’Orléans dans Les hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle publiés de 1696 à 1700. La mémoire du roi Louis XIV commande tout y compris ce que doit penser la postérité. Les Mémoires du cardinal de Retz (rédigées entre 1675 et 1677) qui paraissent en 1717 donnent le ton à un registre négatif. Les passages sur sa faiblesse sont innombrables et ses aigreurs contre le cardinal de Richelieu (1585-1642), ses fâcheries avec Anne d’Autriche (Photo n°8) sont la colonne vertébrale d’un récit de vie fait de reculades, de demi-mesures et de compromissions qui ne le flattent pas.
Quant à son portrait, le cardinal de Retz le trace de manière sibylline, transformant ses grandes qualités naturelles en défauts sur le terrain de l’action : « Qu’avec le cœur d’Alexandre, il n’a pas été exempt, non plus que lui, de faiblesse ; qu’avec un esprit merveilleux, il est tombé dans des imprudences ; qu’ayant toutes les qualités de François de Guise, il n’a pas servi l’État, en certaines occasions, aussi bien qu’il le devait ; et qu’ayant toutes celles de Henri [de Guise] du même nom, il n’a pas poussé la faction où il le pouvait. Il n’a pu remplir son mérite, c’est un défaut ; mais il est rare, mais il est beau ». C’était le temps de la Régence (1715-1723), un temps où l’on se plaisait à railler la débauche d’un autre Orléans, Philippe, à qui été revenu la charge de tuteur du jeune roi Louis XV. Le public ne s’y trompait pas. Gaston poursuit sa descente dans le sillage du régent et les Mémoires de M. de Bordeaux parues en 1758 font de lui un être aimant à la fois le jeu et la débauche, amusé par le cardinal Mazarin pour se rendre maître de ses affaires. Les Mémoires de Saint-Simon, écrites dans les années 1730, en font « le plus faible des tous les hommes », qui ménageait le Parlement avec la dernière bassesse, qui sut tout entreprendre dans la minorité de Louis XIV où on était pour lors. Voltaire quant à lui, faisant œuvre d’historien, reconnaissait dans son Siècle de Louis XIV (1751) « qu’il fut malheureux dans ses entreprises qu’il ne sut jamais soutenir ».
Un culte éphémère et discret au XIXe siècle : Gaston, précurseur du libéralisme de la monarchie de juillet (1830-1848)
Entre temps, la branche des Orléans vota quand même la mort de Louis XVI (Philippe dit Égalité, 1747-1793) puis monta sur le trône de France en 1830 avec Louis-Philippe 1er (fils du précédent, 1773-1850). Ce fut alors la vogue des portraits de Gaston d’Orléans à partir de celui offert à Louis-Philippe par le roi Georges IV d’Angleterre (1772-1830) ; il s’agissait du portrait réalisé par Van Dyck qui faisait partie de la collection de Charles 1er Stuart (1600-1649). Ce cadeau rejoignit celui du duc d’Aumale (1822-1897), le fils de Louis-Philippe 1er au château de Chantilly. De même qu’est inauguré le musée de l’histoire de France à Versailles en 1837 ; Louis-Philippe entame en lieu et place où s’est épanoui l’absolutisme des Bourbons une série de commandes de peinture et de sculptures susceptibles d’enraciner l’idéologie libérale orléaniste. Le peintre Henri Decaisne réalisa le tableau intitulé, Les derniers moments de Louis XIII au château de Saint-Germain-en-Laye le 14 mai 1643 (Photo n° 9) ; la toile exprime la réconciliation et l’apaisement. Ces tentatives font long feu comme la Monarchie de Juillet en 1848 et ne mettent pas fin à la vision évolutionniste et linéaire de l’histoire de France.
Les publications ou rééditions des mémoires du temps, comme ceux de Claude de Bourdeille, comte de Montrésor (1665) ont renforcé l’idée que Gaston était dans le camp des révoltes nobiliaires, pour « le désordre féodal » et contre la raison d’État de Richelieu. Rebelle doublé d’un faible, voilà un portrait indélébile que renforce cette appréciation de la duchesse Marie de Nemours (1625-1707) dans ses Mémoires (1709) : « M. le duc d’Orléans était toujours pour les frondeurs quand, il était avec eux : mais dès qu’il parlait à la Reine [Anne d’Autriche], ce n’était plus cela ; et il changeait si fort qu’il était presque impossible qu’aucun des partis pût faire un fond certain sur lui ». Fidèle parmi les fidèles, son gentilhomme Niciolas Goulas (1603-1683) se porte à son secours et attribue son défaut d’indécision à son trop d’esprit et parce qu’il « se représentait à son imagination tant de raisons de douter qu’il lui était impossible de choisir ».
Un Gaston pas même héroïque au temps du romantisme
Ce n’est pas Alexandre Dumas qui a fait pencher la balance. Dans Le vicomte de Bragelonne (1850) qui constitue le dernier volet de la trilogie des Mousquetaires, Alexandre Dumas nous offre dès les premières lignes un portrait de Gaston au seuil de la mort, dans sa période d’exil et de résignation. L’auteur nous raconte qu’il était dans la destinée de ce grand prince d’exister médiocrement partout où il rencontrait l’attention du public et son admiration. L’image du digne fils d’Henri IV et de l’oncle de Louis XIV est ternie par ses coupables complots au cours desquels il avait vu ses complices exécutés les uns après les autres (Chalais en 1626, Montmorency en 1632 ou Cinq mars en 1642) sans jamais qu’il ne soit lui-même inquiété au nom de son sang. Dumas a cette phrase assassine : « On ne laisse pas couper la tête à une douzaine de ses meilleurs amis sans que cela ne cause quelque tracas. Or, comme depuis l’avènement de M. Mazarin on n’avait coupé la tête à personne, Monsieur n’avait plus eu d’occupation, et son moral s’en ressentit ».
Après les années de révolte et de fronde qui avaient énervé l’autorité, la vie du prince n’était que nostalgie et ennui ; en d’autres termes, il n’avait jamais pu être roi, était passé très près pourtant de la couronne, avant que la naissance du dauphin Louis en 1638 (futur Louis XIV), ne réduise son existence au néant. Le XIXe siècle préféra le courage romantique du jeune Henri de Coiffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq Mars (1620-1642, photo n°10), initiateur du dernier complot contre Richelieu ; c’est Alfred de Vigny qui s’en fit l’interprète vibrant en 1826 en stigmatisant l’incapacité doublée de poltronnerie de Gaston : « Vous ne pouvez pas dire que j’aie rien ordonné ni autorisé ; je me mêle de rien, je n’entends rien au gouvernement ». Il y a dans le Cinq Mars d’Alfred de Vigny toute l’admiration envers la fine fleur de la noblesse française résistant au cardinal Richelieu en même temps que le jugement sévère d’un prince qui échappe toujours à la mort. Gaston, fils de France, n’eut jamais pour récompense de sa rébellion une mort honorable, elle le prendra dans son lit et dans le calme de son château de Blois.
Gaston d’Orléans, de simples « gastonnades » ou un « devoir de révolte » ?
Les historiens se sont intéressés depuis la fin du XXe siècle au phénomène de révolte des nobles mais ont pendant longtemps retenu que la seule incapacité politique du duc d’Orléans contre ce qui relevait de la pure linéarité historique : la France était à la mort du duc d’Orléans en 1660 une puissance incomparable en Europe et elle le devait à Richelieu et à Mazarin. Pour Pierre Goubert par exemple mais également pour François Bluche, Gaston est un incompétent qui a failli dans chacun de ses complots en n’étant jamais à la hauteur de l’intrigue. Les péripéties de sa vie sont des enfantillages politiques que François Bluche appelle des « gastonnades » et sa vie n’est qu’une succession interminable de retournements de veste. Gaston est au fil de l’histoire à contre-courant, un vaincu devant le destin de grandeur et de gloire de la monarchie française. Le premier historien à réévaluer avec affection la vie de Gaston fut Georges Déthan en 1959 ; timidement, il tente de défaire la réputation noire du duc en un temps où il était difficile d’aller contre l’historiographie officielle admirative de la centralisation et d’un exécutif fort.
Depuis le renouvellement de l’historiographie du grand siècle dans les années 1980, les perspectives biographiques du duc d’Orléans s’orientent vers le sens à donner à ces rébellions, à ces « gastonnades ». En tant qu’éternel « mécontent » ou « malcontent », Gaston d’Orléans était dans son rôle, celui qui faisait prévaloir un statut quasi-officiel d’opposant. En l’absence d’institutions vraiment efficaces permettant de s’exprimer légalement, le recours à la violence apparaissait comme un moyen normal de faire entendre sa voix. La prise d’armes était donc un moyen pour préserver ses intérêts, alerter l’opinion et donc faire pression. Les chefs de ces prises d’armes, de ces complots parfois étaient des gentilshommes, parfois des plus grands noms de la noblesse française. Voici comment le sieur de Rochefort aux États d’Orléans le 1er janvier 1561 exprimait ce devoir de révolte : « Pareillement au ciel le soleil et la lune nous représentent le roi et la noblesse, tellement que quand advient l’éclipse entre eux, toute la terre demeure obscure. Si le roi ne s’accorde avec ses nobles, ce ne sont que troubles et séditions ; et quand il les maintient, ils le défendent, conservent, et sont toujours les premiers à son service ». Au XVIIe siècle, cet état d’esprit faiblit devant l’expérience malheureuse des désordres notamment des guerres de religion (1562-1598, puis 1620-1628). Les Grands qui entourent Gaston, s’ils sont sensibles à l’ordre, exigent des garanties pour que leur sacrifice ait un sens : un roi adulte, la présence certaine d’héritiers mâles, des ministres souples et non des Richelieu et Mazarin prêts à tout pour imposer leurs vues. Omer Talon avocat général au parlement de Paris, d’où partit la Fronde en 1648, évoque ainsi dans ses mémoires le climat au début des années 1630 : « Le gouvernement était dur […] l’on voulait les choses par autorité et non par concert ». C’est ainsi que les contemporains considéraient l’évolution des événements, ceux concernant la loi, la guerre, la fiscalité, la justice, … ils aspiraient à la restauration, contre un État de plus en plus exécutif.
Gaston d’Orléans a incarné ce devoir de révolte qui était davantage une stratégie d’intégration de la puissance nobiliaire à l’État qu’une trahison. L’exercice biographique commence a briser la linéarité chronologique en faveur d’une réévaluation de l’action politique du prince d’Orléans. Arlette Jouanna, Jean-Marie Constant se sont faits les passeurs de cette mise en contextualité grâce à laquelle on comprend mieux, au-delà des défauts du prince, le sens de ses agitations répétées. La biographie de Jean-Marie Constant, la plus récente (2013) s’inscrit dans une démarche résolument différente de l’historiographie traditionnelle en interrogeant les raisons de l’acharnement dont a été victime Gaston d’Orléans. Cette démarche a conduit à étudier les multiples identités du duc qui ne tiennent pas dans la seule intrigue du développement de la monarchie absolue. Pierre Gatulle a exprimé avec finesse et habileté les deux identités de Gaston en intitulant sa biographie : Entre Mécénat et impatience du pouvoir (2012, photo n°13). En effet, autres temps, autres perspectives, les historiens s’intéressent depuis une trentaine d’années au rôle de mécène qu’a pu jouer Gaston d’Orléans et à la cour de son château de Blois.
Gaston d’Orléans, un prince honnête homme et une cour brillante
Certains historiens littéraires s’étaient déjà attachés à percer à travers la littérature issue de son milieu les allusions à sa vie, à ses mœurs, à son état d’âme ; ils y ont constaté le creuset d’un libertinage érudit propre au XVIIe siècle, groupe certes politique mais également intellectuel. La composition de son entourage fut d’ailleurs à l’image de sa personne. Il protégeait les dévots qui s’engageaient résolument contre la raison d’Etat pour des raisons de piété intense, les stoïciens et les libertins fervents, des poètes. C’est ainsi que des libertins comme Fontrailles, Aubijoux, le baron de Blot furent parmi ses protégés. Là aussi, il faut comprendre ces amitiés et ses protections comme étant caractéristiques de ces temps de clientèles et de liens d’amitiés. Le mécénat de Gaston prend ici la forme d’un patronage magnifié, c’est-à-dire, nous explique Pierre Gatulle, « qu’il procède, par un jeu de figures, d’une logique de reconnaissance réciproque fondée sur le jugement et le bon goût validés par le rang du prince ». Ce qu’on appelle la « nébuleuse Orléans » a ainsi favorisé l’éclosion de talents comme Tristan l’Hermite, Vaugelas, Pierre de Patrix, Jacques Alleaume, Robert Arnauld d’Andilly ou Vincent Voiture. Ces « domestiques » du prince ont peuplé avec beaucoup d’autre la cour du duc d’Orléans qui fut l’une des plus fastueuses de cette époque. Cette cour est aussi le théâtre d’une guerre de représentations que livre le prince d’Orléans lors de ces incessantes rébellions contre Richelieu. D’abord au palais du Luxembourg, dont il hérite de sa mère Marie de Médicis en 1642, puis au château de Blois, cœur sédentaire d’une cour forcée à l’exil à partir de 1552, Gaston éprouve autant ses capacités d’action et de représentation. À Blois, il a forgé le grand dessein de reconstruction en appelant François Mansart (1598-1666) (et la fameuse aile qui porte son nom, photo n°13) qui n’a d’égal que la rivalité de rang inscrite durant toute sa vie.
C’est dans cette atmosphère de cette rivalité de pierres, que se sont ordonnées des fêtes et des divertissements de cour. Choix esthétiques autant que politiques ont donc aussi construit l’identité d’un prince qui ne fut pas qu’un rebelle, un opposant brouillon à l’absolutisme mais un prince tenant son rang, jouant son rôle au temps où les règles étaient en train de changer dans un immense rapport de forces. C’est ainsi que se construisent les identités des vaincus dans l’histoire, une injustice historiographique qui a au moins le mérite de montre comment une biographie ne s’ordonne pas seulement, loin de là, à ses échecs ou à ses réussites, toujours relatives, mais au sens qu’elles prennent au cœur d’une époque.
Petit pré carré documentaire
Un documentaire de la série La caméra explore le temps, 1962, décline tous les clichés et surtout la poltronnerie de Gaston d’Orléans.
A partir des années 1950, les biographies de Gaston d’Orléans titrent leurs principes chronologiques et thématiques sans l’hostilité des siècles passés souvent au service de la centralisation autoritaire du pouvoir.
Georges Déthan, Gaston d’Orléans : conspirateur et prince charmant, Fayard, 1959. Sans ce départir d’une certaine affection pour son sujet, l’auteur commence à sortir du cliché hostile et aveugle.
Christian Bouyer, Gaston d’Orléans, le frère rebelle de Louis XIII, Pygmalion, 2007. L’auteur a beaucoup écrit sur Gaston et son époque ; il a notamment publié une première biographie sur le mécénat du Duc, Gaston d’Orléans, séducteur, frondeur et mécène, Albin Michel 1999.
Jean-Marie Constant, Gaston d’Orléans, Le prince de la liberté, Perrin, 2013. L’auteur, grand spécialiste de la période est attentif à l’indocilité de Gaston qu’il traduit par une certaine liberté et une attention apportée aux déshérités en pleine crise économique et sociale. Un prince d’opposition en quelque sorte au sens alternative et politique du terme.
Pierre Gatulle, Gaston d’Orléans : entre impatience du pouvoir et mécénat, Champ Vallon, 2012. Brillante étude biographique qui prend la mesure des multiples identités du prince entre culture et politique, mécénat et représentations.
Frédéric Bidouze