Un cinéaste, les médias et l’horloge du temps
Cinéaste activiste, confidentiel et très inventif, Peter Watkins interroge depuis les débuts de sa carrière les spécialistes du 7e art. Iconoclaste, dérangeant mais très inventif, Watkins est en mission, toujours poussé par une volonté farouche de raconter les dangers, les injustices du monde, sans parler de la manipulation des médias qui est l’une de ses obsessions et qu’il a exprimée dans un ouvrage : Media Crisis (2004). Dans ce livre, il dénonce ce qui motive très largement son art cinématographique, l’irresponsabilité croissante des medias audiovisuels et leur impact dévastateur sur l’homme, la société et l’environnement. Dans une large mesure, son cinéma entend être réparateur de ce désastre à savoir que les médias, les films documentaires ou de fiction traditionnels seraient régis par des concepts « monoformes », ceux de l’horloge universelle, qui, selon Watkins, formateraient les contenus programmatiques audiovisuels. Cette crise sous forme de manipulation est, selon le cinéaste, une menace qui pèse sur le fonctionnement démocratique ainsi que sur le fonctionnement culturel. Ces conclusions ne sont pas en soit une découverte, quand on pense à tous les témoins de ce phénomène, notamment le philosophe des médias Marshall McLuhan (1911-1980) qui parlait dès la fin des années 1960, du Médium plus fort que le message (Le message c’est le medium). La différence est que Peter Watkins entend y remédier et toute son œuvre est consacrée à cette quête.
Fort de cette idée, Peter Watkins trouve son originalité dans un cinéma qui documente la fiction et inversement, en bouleversant volontairement les codes du temps. Acteurs non-professionnels cueillis sur les lieux d’un tournage (Photo n°1) souvent attaché à une histoire douloureuse, scènes volontairement détachées du contexte historique avec des apparitions venues de toutes les époques ; Peter Watkins ne mélange pas seulement les genres en bouleversant l’horloge du temps, il les structure sciemment en détournant des docu-fictions des concepts de « vérité » ou de ce que les spécialistes du cinéma appellent « la réalité cinématographique ». Pour la majorité des critiques spécialisés, on est sous le charme de ce révolutionnaire qui bouleverse les codes, brave les interdits des autorités qui sont, quant à elles (on l’aura compris) fondées sur une fausse légitimité. Peter Watkins entend nous faire prendre conscience de l’histoire tout en tournant une histoire, issue de sa vision du monde contemporain, un monde qui, au fond, n’a pas beaucoup changé en termes de domination des puissants, des écarts de richesse et de passivité des gens.
L’histoire, le jardin de Peter Watkins
Selon la philosophie ainsi très brièvement résumée du cinéaste, on se doute que l’histoire demeure, de près ou de loin, son jardin, et qu’il le cultive à sa manière. Si la liberté de tourner est imprescriptible, que souvent l’esthétisme déborde tout, dépasse tout, que l’écriture cinématographique de l’histoire n’a aucune limite et qu’elle rompt avec les règles de la profession historienne, elle ne doit pas être épargnée par la critique de ses intentions, de ses dégâts aussi dévastateurs que ceux qu’elle dénonce. C’est le cas du cinéma « historique » et engagé de Peter Watkins qui entend faire du spectateur, un « acteur » qui n’est plus considéré comme un récepteur passif à qui on donne à voir des vérités simples, officielles et entendues, mais un individu, selon les admirateurs de Watkins, « intelligent produisant lui-même une pensée sur les images qui lui sont présentées et les modes de représentation traditionnels ».
Sa vie et sa filmographie prouvent largement son attachement à l’histoire, une histoire volontairement et « subversivement » décodée selon sa pensée militante et dénonciatrice d’un monde qui va mal : En 1958, il réalise son premier film en 16 mm, The Field of Red sur la guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865) ; en 1958 il conçoit un documentaire sur le Journal d’un soldat inconnu évoquant le point de vue d’un soldat britannique sur la guerre de 1914-1918 ; en 1960, il tourne Les visages oubliés, sur l’insurrection de Budapest de 1956 en Hongrie contre les troupes soviétiques ; en 1961, il réalise La Gangrène à propos de la torture de cinq immigrés algériens par la police française. Ce n’est véritablement qu’au milieu des années 1960 qu’il réalise seul des films « professionnels » comme La bataille de Culloden en 1964 (au cours de laquelle les Highlanders écossais furent écrasés par les troupes anglaises en 1746 (Photo n°2), La Bombe en 1967 (documentaire de la BBC sur les effets du Nucléaire qui imagine une attaque atomique dans le Kent et ses effets dévastateurs), Gladiators en 1969 ou le peintre Edward Munch (1863-1944) (Edward Munch, La danse de la vie, 1973).
Lassé par l’hostilité des critiques incessantes qu’il met toujours sur le compte du contexte audiovisuel et médiatique global pervers et perverti, il se retire du cinéma et de la télévision au début des années 1990. En 1999, revigoré, il s’attaque au tournage, à Montreuil, de la Commune de Paris (1871). Ce film, sommet et aboutissement d’une œuvre très riche, affirme la dialectique du cinéaste avec d’autant plus d’arguments qu’il a affaire à un épisode de l’histoire qui lui va, à lui comme à sa philosophie, comme un gant.
Peter Watkins et l’historiographie de la Commune de Paris : faits pour s’entendre
La Commune de Paris est la dernière révolution qui eut lieu en France, de mars à mai 1871. Elle succéda à un siège terrible de la capitale par les armées prussiennes après une guerre courte (juillet 1870-janvier 1871). Révolution « unique et utopique, complexe et balbutiante » selon l’un de ses meilleurs historiens, l’anglais Robert Tombs (Paris, Bivouac des révolutions. La Commune de 1871, Libertalia, 2014), elle demeure jusqu’à ces dernières années la chasse presque gardée d’historiens et d’un public largement favorables, très nostalgiques de tous les espoirs qu’elle a fondés. Jamais, un événement historique n’a été (et est encore de nos jours), interprété avec un regard aussi engagé, partisan et révolté, que l’histoire de la Commune de Paris. A tel point que chose assez significative, les historiens les plus souvent cités sont des acteurs mêmes de cette révolution, comme par exemple Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901, Photo n°3) ou la célèbre Louise Michel (1830-1905), la très courageuse et emblématique représentante d’un sexe qui se fit beaucoup entendre durant ces 73 jours de la Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871).
Au-delà des espoirs qu’elle a fondés et dont certains se sont concrétisés sous la République (liberté de parole, école laïque, gratuite et obligatoire ; politique sociale en faveur des plus démunis, etc), la Commune de Paris a été victime d’un massacre inouï dont les chiffres sont toujours discutés aujourd’hui. En une semaine (lors de la semaine « dite » sanglante » du 21 au 28 mai), les soldats de ligne appelés versaillais, sous les ordres du chef exécutif provisoire de la République, Adolphe Thiers (1797-1877) ont investi la capitale (Photo n°5 ). Après avoir détruit une à une les centaines de barricades ils ont exécuté souvent par ordre exprès de leur hiérarchie et de manière systématique, les Communeux, hommes, femmes, vieillards, enfants mêmes. Tandis que Robert Tombs table sur 10 000 morts, l’historiographie engagée en faveur de la Commune en compte 30 000. Peu importe les chiffres, la manière et le minima, sont déjà assez significatifs d’une violence politique qui était encore très courante à la fin du XIXe siècle, estimée dans certains commentaires, de tous bords d’ailleurs, comme salvatrice. Au lendemain du massacre, Émile Zola écrit notamment dans Le Sémaphore de Marseille le 3 juin 1871: « Le bain de sang qu’il [le peuple de Paris] vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur », tandis que George Sand, républicaine et sans aucune sympathie pour le pouvoir de Versailles s’interroge le 16 avril 1871 : « Comment rétablir le règne des lois sans écraser des milliers d’innocents et sans abîmer notre pauvre Paris ? […] On ne voit de gracieuse solution nulle part » (Lettre à Alexandre Dumas fils).
Cette tragédie sociale et politique a donné lieu à la publication de milliers d’ouvrages qui jusqu’au moins la fin du XXe siècle, ont eu essentiellement des motifs politiques. Après des écrits anti-communards de la fin du XIXe siècle justifiant la répression au nom d’une paix bourgeoise d’ordre moral susceptible d’instaurer une démocratie pluraliste, ce sont les ouvrages favorables, voire pour certains outrancièrement favorables à la Commune qui l’emporte. Les recherches universitaires ont longtemps été freinées par cette chape de plomb historiographique. Les introductions, les avertissements, les structures des ouvrages rappellent aux lecteurs la sauvagerie de la répression tout en l’associant à une repentance tournée vers la condamnation d’Adolphe Thiers, premier président de la IIIe République et fossoyeur d’une révolution d’avenir. Ce Credo, qui ne peut que séduire les contemporains que nous sommes, épris de paix, d’harmonie sociale et de solidarité pour notre prochain mais en même temps unanimement engagés dans une société individualiste et consumériste, Eric Fournier le résume très bien : « L’histoire contrefactuelle, sous la forme de l’uchronie. Un temps qui se représente lui-même à la croisée des chemins, une « histoire avec des si » qui imagine un futur alternatif à partir d’un événement fondateur qui se serait déroulé différemment, « une approche contrefactuelle qui comporte une dimension politique assumée, mobilisée par des acteurs sociaux progressistes ou révolutionnaires, qui montrent ainsi qu’un autre futur est possible ; que des pesanteurs ou des héritages apparemment évidents ne sont que contingents » (La Commune n’est pas morte. Les usages politiques du passé de 1871 à nos jours, Libertalia, 196 p.).
Au cœur de cette démarche enfin, l’histoire fut dès les origines cultivée par la mémoire des Communards, exilés ou condamnées, puis graciés en 1880, à travers le souvenir auquel un public nombreux de militants et de sympathisants commémore par des discours, conférences, chansons (Le temps des Cerises ou l’Internationale) et autres manifestations l’héroïsme des fédérés contre la « férocité bourgeoise ». A partir de la loi d’amnistie du 11 juillet 1880, des Communard de retour d’exil comme Henry Champy créent la Solidarité des proscrits de 1871, association qui change plusieurs fois de noms jusqu’à l’Association fraternelle des anciens combattants de la Commune, créée en 1905 à celle des Amies et des Amis de la Commune de Paris en 2013. L’association perpétue les idéaux de la Commune et fait connaître son œuvre sociale et politique qu’elle considère comme prémonitoire. Son slogan, « Le cadavre est à terre mais l’idée est debout » est issu d’un poème antérieur de Victor Hugo de 1867 célébrant la bataille de Mentana et remerciant un futur combattant de la Commune Giuseppe Garibaldi. Chaque année sont célébrées l’insurrection du 18 mars ainsi que la montée au Mur des fédérés au cimetière du Père Lachaise le 28 mai (Photo n°5).
Si Peter Watkins s’est attaqué à un tel événement, c’est qu’il collait merveilleusement avec ce rêve révolutionnaire, plus démocratique que la démocratie instaurée par l’ordre bourgeois du XIXe siècle et prolongé par ses émules contre lesquels se sont dressées les barricades de 1968 puis aujourd’hui la mondialisation, monstre diabolique et très matérialisé que dénonce Peter Watkins. Rien n’a changé en ce bas-monde et le cinéaste est tenace, Il introduit son film en Lituanie dans le Gruto Park , au sud de Vilnius, un parc à thème sur l’Union soviétique et son enfer; il promet bientôt un parc à thème sur la mondialisation qu’il identifie à une idéologie aussi nocive. Il dénonce les médias et surtout la méconnaissance des étudiants du monde entier, et donc de leurs professeurs, des contextes historiques.
Son film de la Commune de Paris n’est donc pas seulement un hymne à la lutte contre l’acceptation populaire de la passivité médiatique, mais sa leçon d’histoire. Tourné à Montreuil en une quinzaine de jours par 300 amateurs et techniciens motivés (qui ont créé par la suite l’association appelée Rebonds pour la Commune), le film dure plus de cinq heures (3h30 en version courte) et voici comment par la voix de deux journalistes de télévision en costume d’époque (Photo n°6) l’histoire de la Commune de Paris est : « un film sur le rôle des mass media dans le monde d’hier et d’aujourd’hui».
Une histoire alternative ? Une histoire partisane doublée d’une originale mise en scène de notre monde contemporain
L’expression artistique du cinéaste se veut très pédagogique et colle au déroulement de la Commune de Paris, telle que l’a vécue le peuple souffrant de Paris, les sans-grades, mais aussi les fédérés en armes. Des panneaux de textes sont déroulés en silence, à charge contre le gouvernement de Versailles, dans la lignée de l’historiographie politique la plus pure. Pour l’historien qui connaît bien la période, le film faire voisiner des scènes volontairement très contradictoires. Certaines approchent ce souhait du grand historien Lucien Febvre qui est de « recomposer la mentalité des hommes d’autrefois ; se mettre dans leur tête, dans leur peau, dans leur cervelle pour comprendre ce qu’ils furent, ce qu’ils voulurent, ce qu’ils accomplirent » (Combats pour l’Histoire, 1953) ; ces scènes qui prennent l’histoire au sens très justes, parfois très sensibles on pense à l’insurrection de la prise des canons de Montmartre le 18 mars 1871, et surtout aux scènes des cours prévôtales qui ont fait faire la queue aux Communards avant d’être impitoyablement fusillés, au Châtelet, à la caserne Lobau, à la place Saint-Sulpice, au jardin du Luxembourg, etc, (Photo n°8). Dès qu’on aborde les interviews des acteurs de la Commune, une mise en scène nous offre des réponses des acteurs eux-mêmes aux intonations de présent et de futur. Comme on sent la foule mêlée, l’inquiétude, on entend les cris, le désespoir et on voit les soldats versaillais comptabiliser administrativement les Communards dont ils ont ordre de se débarrasser, le spectateur se sent concerné. La Commune de Paris est en effet cet entremêlement d’hommes et de femmes, responsables d’une insurrection et fondateurs d’un nouvel espoir de cité ; si elle se réclame souvent de ses antécédents de 1793-1794, elle ne fut pas meurtrière et si ses dirigeants durcirent quelque peu le climat à partir du mois de mai, on ne leur laissa pas le temps d’instaurer une dictature. Doublées d’interviews des acteurs eux-mêmes, sur les revendications du monde d’aujourd’hui et l’actualité de la « mondialisation », les séquences engagent le spectateur à « s’engager » ou à « se dégager », en aucun cas de rester neutre ou du moins réflexif.
Ces savants mélanges donnent à voir des scènes « orchestrées » comme cette maîtresse d’école laïque qui pose des questions et suggère les réponses : Les Communards veulent l’égalité/Les Versaillais veulent l’inégalité, etc. On passe alternativement de la discussion sur l’égalité et les sacro-saints média, coupables de briser la citoyenneté en éveil lors de la Commune de Paris, répondant sans difficulté à une question qui est une vraie interrogation historique: la répression de la Commune a-t-elle sauvé la démocratie (à partir de 1871, se produit l’enracinement de la IIIe République avec d’ailleurs le retour des Communards amnistiés), ou le massacre a-t-il été le fossoyeur de la vraie démocratie ? Le film choisit cette dernière hypothèse. Cet extrait, parmi beaucoup d’autres met en scène une discussion de troquet entre acteur/figurants au cours de laquelle on mêle des discussions de Communards de 1871 à celles que tiennent les militants d’aujourd’hui […]. Peter Watkins a voulu aller plus loin encore, assumant la forme alternative la plus aboutie jusqu’à dépasser le récit, avouant haut et fort les propos des acteurs, interrogés sur les notions de colère, de révolte actuelles comme ce nouveau débat cette-fois-ci très contemporain : on y dénonce le manque de colère, quand on veut on peut, cela n’a jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui, etc, (Photo n°9) “Plus d’un siècle après, c’est la même chose” . Internet, la lune, le portable, le foot, tout y passe ; l’expérience de ce film a convaincu des gens qui l’étaient déjà, s’identifiant à la communauté d’idées des Communards de 1871, associant leur propre saturation de la société consumériste et de spectacle avec une mentalité d’un autre temps.
Les médias et la révolution
Dans sa lutte contre les médias, Peter Watkins célèbre la formidable liberté de parole issue du peuple qui s’est exprimée lors de la Commune. Clubs installés dans les églises, journaux populaires comme le Père Duchêne qui renaît de ses cendres après sa grande épopée de 1789-1794, reflètent un activisme politique constant jusqu’au sacrifice suprême. Pour en rendre compte, les deux journalistes déambulent et interrogent les uns et les autres. Certains « bourgeois » excédés par ce qu’ils considèrent comme un prise de pouvoir illégale, sont interrogés pour la forme, mais subissent la déferlante populaire du média privilégié en l’occurrence, celui de la Commune. Si le pouvoir de Versailles fut mensonger dans sa propagande, supprima les journaux activistes avant l’insurrection du 18 mars, ce fut à son tour de subir la censure révolutionnaire pendant les deux mois du pouvoir communal. C’est dans ce cadre qu’il faut mesurer la propédeutique de Watkins visant à préparer les consciences contre les Mass Média, via son film La Commune de Paris. Elle prend littéralement l’histoire en otage. Ce n’est pas celle du ou des pouvoirs des différentes républiques qui se sont succédé, car il faut reconnaître que depuis un siècle les célébrations en souvenir de la Commune font consensus comme la multiplication des plaques commémoratives (Photo n°10) ; c’est plutôt à l’égard d’une compréhension d’un événement uniquement interprété comme une catharsis des problèmes de notre société contemporaine.
Confondre le temps, faire parler les foules du Paris communard comme si nous étions à la Fête de l’Humanité a un coût : celui d’entraîner dans son sillage des spectateurs qui estiment que là est « la vraie » histoire, que tout recommence, que tout se résume à une affaire de riches contre pauvres. Le film propose dans ce cadre à voir des débats très guindés de la télévision versaillaise (Photo n°11) qu’un pauvre bougre au cours du film qui la regarde se voit contraint ou vivement conseillé de changer de chaîne… On parle immigration car de nombreux étrangers ont combattu pour la Commune, ce qui ouvre le débat cher aux acteurs des sans-papiers des années 1990 ; on parle économie et moratoire des loyers qui ouvre le débat sur les sans-abri ; on parle éducation et laïcité, etc. Le film interroge ici tous les aspects des luttes des Communards avec des relents d’immédiateté chers à Watkins. On touche de très près son art et sa manœuvre.
Peter Watkins a donc réalisé cette fiction sur la Commune comme un documentaire contemporain pour, explique-t-il, « insuffler à l’histoire figée des historiens, l’énergie épique de l’immédiateté ». On est pourtant très loin de faire accéder ici le spectateur à un passé des sociétés humaines, à cette dignité de l’objectivité, comme l’appelle Paul Ricœur ; on serait plutôt porté à le faire accéder à un futur rêvé, désenchanté qu’il est par un passé toujours maudit. C’est finalement le propre de l’activisme révolutionnaire dont le cinéma est certainement le meilleur vecteur et l’histoire, son meilleur alibi. La leçon de Watkins est bel et bien une seule leçon politique qui veut se faire passer pour de l’histoire. Cette ambition engagée de Watkins, dans sa lutte contre les médias, pénètre sur le territoire de l’historien comme on rate souvent la compréhension de notre temps, en faisant de l’histoire par le prisme du politique, au lieu de faire de la politique par le prisme de l’histoire. Pour Watkins, la lutte contre la déforestation, la fonte des glaciers, les dangers du nucléaire ou le gaspillage alimentaire peuvent traverser n’importe quelle époque, n’importe quelle intrigue historique : tel la Commune de Paris. Peu ou pas diffusé, film de militants convaincus, La Commune de Paris Peter Watkins interroge la démocratie et non l’histoire, surfe sur des poncifs qui font de l’histoire une éternelle question d’actualité.
Comble et ironie de l’histoire. En 2003, lors de son séjour au cours duquel il présente la version courte de son film, il découvre que la maison de production avec laquelle il a tourné son film, appartient au groupe Lagardère. Dans Une introduction officielle version courte du film, Il tient à dénoncer la Multinationale vendeuse d’armes tout en affirmant qu’il n’a jamais eu de pression d’aucune sorte de sa part, portant un coup assez fatal son œuvre et à sa pédagogie historienne.
Frédéric Bidouze