« Louis, surnommé le Grand,/ Est mené comme un enfant./ On le tient par la lisière,/ Cependant, il croit tout faire/ Lampons, Lampons/ Camarades Lampons »
Vieillesse de Louis XIV, 1707
La France chante la mort de Louis XIV
A la fin du règne de Louis XIV, la guerre de succession d’Espagne (1701-1714) est très douloureuse et ternit gravement la gloire passée du vieux souverain. Une mauvaise économie et une misère générale atteignent les forces vives du royaume. Ce qui pouvait être passé sous silence durant les premières splendeurs du Grand Roi (photo n°1), apparaît au grand jour comme un symptôme de crise. On se détourne de Louis XIV, on le déteste et on le méprise même. On réclame la paix à cor et à cri, son épouse officieuse depuis 1683, Madame de Maintenon, est raillée comme jamais et on se plaît à chanter, durant le terrifiant hiver de 1709 :
Louis, avec sa charmante,/ Enfermé dans le Trianon,/Sur la misère présente,/ Se lamente, se dit-on/ Et allons gai gai, ma tourlourette. Et allons gai, ma tourlouron […] De ce coup, la paix faut faire,/ Même y penser tout de bon,/ Madame, c’est votre affaire,/ Pour moi, voici ma chanson (refrain) »
Misère, banqueroute et perte de prépondérance, le royaume de France est à un grand tournant lorsque Louis XIV meurt le 1er septembre 1715 à l’âge de 77 ans. Les Français libèrent leurs plumes et leur voix au cours de la minorité du jeune Louis XV et ne freineront plus ce vent de liberté critique. La mort de Louis XIV est à maints égards un grand soulagement (après un règne de 72 ans et cent jours !) pour un peuple qui ne voyait plus rien de sacré en sa personne. Les chansons rejoignent étonnamment la réalité en célébrant ironiquement les exploits de Louis XIV ; un roi dit l’une d’elle, qui traitait les gens de pure bagatelle, qui enfreignait les traités sans honneur et sans foi, qui croyait que l’univers n’était créé que pour lui et qui passa plus des deux tiers de son règne en guerre ! Quand on sait que personne ne contempla le spectacle des 800 cavaliers qui escortèrent la dépouille du souverain à Saint-Denis à l’aube du 10 septembre, on comprend l’indifférence par la dureté des airs chantés dans les rues de Paris sur son tombeau où gît « le fléau des humains ». On souhaite prendre l’argent où il se cache et que le Régent Philippe d’Orléans (1715-1723) fasse du petit roi de France Louis XV (1710-1774), à peine âgé de cinq ans, un roi de paix et de prospérité (sur l’air du Dies Irae):
« Vous, ses sujets, la larme à l’œil,/ Regardez ce prince au cercueil,/ Et de sa mort portez le deuil./ Il nous laisse à tous en mourant/ De quoi pleurer amèrement,/ Puisqu’il nous laisse sans argent […] Sans cet ignorant médecin,/ Qui de Louis fut l’assassin,/ Nos maux auraient duré sans fin./ Or, prions tous, le Roi des rois/ Que jamais l’Empire français/ Ne tombe sous de dures lois./ Que le Régent, doux et bénin,/ Inspire à son petit cousin/ D’être juste, paisible, humain »
Le royaume de France n’a donc pas attendu le règne de Louis XV le libertin et le mal-aimé puis celui du malheureux Louis XVI (1774-1792) pour assister à une critique systématique de leurs actions, mais ce qu’on appelle la désacralisation atteint durablement le système monarchique en son cœur et en son fonctionnement originel à partir de 1715. Les Lumières n’ont pas inventé le scepticisme sur les pouvoirs thaumaturges des rois, de guérir leurs sujets des écrouelles et ne sont pas responsables des fissures progressives du cérémonial monarchique. Dès le milieu du milieu du règne sans partage de Louis XIV, les représentations en Apollon et en Mars s’étaient substituées à l’image réelle du souverain ; ce n’est pas tant que ses sujets n’aiment plus leur roi, bien au contraire, mais un écart se creuse en profondeur entre la sacralité de la monarchie, système immuable de gouvernement des sujets et l’opinion publique de plus en plus exigeante et critique. Tandis que le roi n’avait jamais subi les affres de l’insulte, on chantait déjà pour la première fois dans les rues de Paris au moment de la Fronde (1648) ces vers menaçant la reine et régente Anne d’Autriche (1601-1666) :
« Mais je voudrais bien étrangler/ Notre putain de Reine »
Louis XV, du Bien-Aimé au Mal-Aimé
Louis XIV fut insulté une fois mort, ses successeurs le seront de leur vivant, pourquoi (photo n°2) ?
Enfant choyé et adoré, adolescent adulé et souverain bien aimé, tel est le Louis XV de la première partie de règne dominé par le vieux cardinal Fleury (1653-1743). Louis XV est un roi « mineur de trente ans » et les chansons constatent amèrement que son mariage avec une pauvre princesse polonaise Marie Leszczynska (1703-1768) est une déception tant par son manque de beauté que par son origine modeste (sur l’air du : j’ai du Mirliton) :
Les dieux vous ont conduit au printemps de votre âge/ Sans beauté./ Quand on est faite ainsi, l’on a son pucelage/ Sans rareté,/ Et l’on couche avec vous, pauvre reine, je gage,/ Sans curiosité
Mais le règne s’enfonce dans la guerre de succession d’Autriche (1740-1748) et les Français découvrent encore plus vivement les débats sur l’impôt toujours aussi sensibles mais très contestés. Louis XIV serait-il de retour (sur l’air du : Que les mortels redoutent le trépas)?
« Qu’après trente ans de guerre et de combats,/ Le grand Louis le Quatorzième/ Nous ait demandé le dixième,/ Cela ne surprend pas./ mais qu’aussitôt que la trompette sonne,/ Louis Quinze l’ait établi,/ Que ce prince commence ainsi/ Par où son aïeul a fini,/ Voilà ce qui m’étonne ! »
Les Français déchantent car le nouveau roi et le nouveau règne n’entament en rien l’appétit fiscal contre les privilégiés, déjà et surtout contre les plus démunis, encore. « L’on met dans ce pays maudit, dit une chanson, des impôts jusque sur l’esprit » et l’on est à plaindre maintenant car on met le génie à l’amende et « par une barbare loi [l’impôt de la capitation], dès que l’on a de l’industrie, c’est un droit de plus pour le Roi ». Mais il y a pire, car à partir des années 1750, les menaces militaires de l’Angleterre, les reculs aux Indes et aux Amériques ainsi que les querelles internes avec le clergé et les parlements, affaiblissent le roi. La bouderie pour un roi qui ne triomphe plus, ni à l’extérieur ni à l’intérieur, se révèle calamiteuse auprès de l’opinion, le Bien-Aimé devient le Mal-Aimé (sur l’air des Triolets):
Louis, du nom de Bien-Aimé,/ Ton peuple te déclare indigne./ Sans doute on t’avait mal nommé,/ Louis, du nom de Bien-Aimé ;/ par ton sceptre on est opprimé,/ Si l’on est traître, fourbe insigne,/ Louis, du nom de Bien-Aimé,/ Ton peuple te déclare indigne […] Putains, maquereaux ou prélats/ Sont les seuls que ta main caresse »
En 1756, la guerre (dite de Sept-Ans) éclate et se révèle catastrophique ; c’est le sommet politique de la marquise de Pompadour, l’époque des mauvais choix et des défaites. Le malheur sonne à la porte du Roi et prend la forme d’un attentat, certes de la part d’un illuminé isolé, mais toutefois bien inscrit dans l’atmosphère survoltée du royaume. La chanson « Sur le malheur arrivé au Roi », de l’abbé de Lattaignant et sur l’air du réveillez-vous, belle endormie, est scandalisée par l’attentat de Robert-François Damiens contre Louis XV (5 janvier 1757) qui l’a blessé superficiellement (photo n°3) ; le roi, par son martyre, réincarne que très provisoirement l’espoir :
C’est en vain qu’un monstre exécrable,/ Vomi par l’enfer en courroux,/ Frappe des rois le plus aimable,/ Et l’assassine aux yeux de tous./ Du haut des cieux, Dieu qui protège/ Ce roi chéri de ses sujets,/ Retiens le bras d’un sacrilège/ Et rompt le plus noir des projets […] Tendres sujets, séchez vos larmes,/ Louis ne perdra pas le jour ;/ mais sa bonté, dans l’instant même,/ S’éveille et vole à son secours./ Non non, le traître, le parjure, n’a ni complice ni parti,/ Il est le seul dans la nature/ Dont Louis ne soit pas chéri »
Mais Louis n’en a pas fini avec son impopularité ; s’il est encore sacré, l’écartèlement de Robert-François Damiens comme jadis François Ravaillac (1610) ne clôt pas les mauvais comptes. Sa mort en 1774, à une époque de réformes délicates engagées dans la plus grande polémique, illustre un phénomène récurrent : celui de l’étonnante contradiction entre le cérémonial religieux qui entoure les rois et le mépris public lors de leur mort. Louis qui fit la guerre mais qui souhaitait la paix, si bien qu’on répétait contre lui « Bête comme la paix », eut le même sort que son arrière grand-père sur le chemin de Saint-Denis. Pire même, ce furent des brocards et des insultes qui accompagnèrent le cortège à la tombée de la nuit… Chanson ou oraison funèbre, rien n’est trop dur pour celui qui régna sur la France durant un demi-siècle derrière qui, les vrais coupables, ministres et courtisans, se dissimulent :
« Te voilà donc, pauvre Louis,/ Dans un cercueil à Saint-Denis !/ C’est là que la grandeur expire./ Depuis longtemps, s’il faut le dire,/ Inhabile à donner la loi,/ Tu portais le vain nom de Roi/ Sous la tutelle et sous l’empire/ Des tyrans qui régnaient pour toi/ Étais-tu bon ? C’est un problème/ Qu’on peut résoudre à peu de frais ;/ Un bon prince ne fit jamais/ Le malheur d’un peuple qui l’aime ;/ Car on ne peut appeler bon/ Un prince sans frein et sans raison/ Qui ne vécut que pour lui-même ».
Louis XVI le Désiré, martyr de la Révolution française
Quelle lourde charge pour son successeur : celle de mériter un amour qui était un acquis pour ses prédécesseurs ! Le chansonnier et dramaturge Charles Collé (1709-1783) accueillit le jeune Louis XVI (1754-1793) par une chanson, intitulée « Un roi de vingt ans » sur l’air des pendus, « qui va nous ramener en France/ Les bonnes mœurs et l’abondance ». Louis XVI et Marie-Antoinette, par leur jeunesse et leur innocence sont en tout éloignés des mœurs du règne précédent ; on fait leur panégyrique, une sorte de chèque en blanc pour que dure l’antique croyance et se prolonge le règne d’une monarchie glorieuse :
A ce roi né pour l’exemple/ Et le bonheur des français,/ Peuples, élevez un temple/ Et gravez-y ses bienfaits ;/ Puisse en être la prêtresse/ Et lui porter tous nos vœux,/ Cette charmante princesse/ Qui le rend lui-même heureux./ Il est clément, il est juste,/ Il est sage autant que bon ;/ Il a les vertus d’Auguste,/ Lorsqu’il en quitte le nom ;/ Mais ce titre à la romaine/ Dont il est si peu jaloux,/ Il faut bien qu’il le reprenne/ Quand nous ne lui rendons tous./ Tout s’ennoblit, tout s’épure,/ Tout s’agrandit sous ses lois ;/ Au vice il rend sa roture,/ A l’honneur il rend ses droits ;/ Il rétablit à Versailles/ Et la décence et les mœurs… »
Louis XVI, le Désiré, réformateur éclairé mais timide, au crédit immense (photo n°4), subira les affres des mécontentements de tous bords accumulés depuis des décennies. A commencer par les privilégiés à qui il veut faire payer la dette. Une chanson fait dire à son contrôleur général des finances Charles-Alexandre de Calonne (1734-1802) puis au frère du roi le comte d’Artois (1757-1830, futur Charles X de 1824 à 1830) qui voulurent imposer un impôt pour tous en 1787, s’adressant à un membre de la noblesse, sur l’air de ce mouchoir, belle Raymonde :
Calonne : Il faut imposer le monde,/ J’y trouve mon intérêt./ Le comte d’Artois : Messieurs, cessez vos débats,/ Car le Roi, mon frère,/ Ne se départira pas/ De ce qu’il veut faire./ Il faut trouver de l’argent,/ Peu m’importe à moi comment,/ Pourvu qu’on, qu’on, qu’on, (bis)/ Pourvu qu’on en donne/ A l’ami Calonne »
La prise de la bastille le 14 juillet 1789 et le retour de la famille royale à Paris en octobre feront de Louis XVI un interlocuteur encore aimé mais moqué, interpellé de plus en plus vivement par des chansons poissardes qui veillent au grain, au nom de la Nation dont il s’éloigne inexorablement. Sur l’air de : en passant sur le Pont neuf :
« Not’ bon Roi s’plaît à Paris,/ ça ravigotte l’z esprits./ Le v’là sous la sauvegarde/ D’not’honneur et d’not’ amour,/ Nos cœurs y montons la garde/ On s’bat pour y avoir son tour »
Après que sa noblesse ait subi le fameux « Ah ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne », Louis XVI décide de s’enfuir avant d’être arrêté à Varennes (20-21 juin 1791) et le peuple chante sa déconvenue à son retour forcé, définitivement prisonnier de la Révolution, sur l’air: vous qui partez que rien vous arrête :
« Ils sont partis sans que rien les arrête,/ laissez-les faire, ils n’iront pas bien loin./ De déserter est un trait malhonnête/ Dont les ingrats ont payé notre soin./ Au trébuchet, donnant à pleine tête,/ Il s’y sont pris, tout en faisant chemin […] Couple perfide, réservez vos larmes/ Pour arroser le prix de vos forfaits./ Le crime est seul le pouvoir de vos armes,/ Il vous confond dans tous vos vains projets./ Un peuple libre reconnaît les charmes/ De n’être plus au rang de vos sujets »
A la veille de sa condamnation à mort en janvier 1793, c’est le procès de tous les rois (hormis celui du bon Henri IV) qu’on instruit en chantant sur l’air de : quand la mer Rouge apparut :
« Vous savez que je fus Roi/ Comme mon grand-père [louis XV],/ Ne faites pas comme moi, tyrans de la terre./ Comme un soleil éclipsé,/ Je suis bien embarrassé,/ Je suis lou lou lou, je suis oui oui oui,/ je suis lou, je suis oui,/ Je suis Louis Seize/ Bien mal à mon aise/ Ce peuple qui m’aimait tant/ En me croyant brave,/ Moi tout bas, toujours tramant,/ Pour le rendre esclave,/ J’ai fait répandre son sang/ Voulant relever mon rang,/ Mais les sans sans sans, mais les cu, cu, cu,/ mais les sans, mais les cu,/ Mais les sans-culottes / Ont paré mes bottes […] Voyant ma mauvaise foi,/ Ils crient tous contre moi/, A la gui, gui, gui, à la liot, liot, liot,/ A la gui, à la liot,/ A la guillotine,/ Qu’on rase sa mine ! »
C’est sur l’air de Biron que les révolutionnaires chantent l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793:
« Le vingt et un janvier/ Sept cent quatre vingt treize,/ Capet, tyran dernier,/ Qu’on nommait Louis Seize,/ A reçu ses étrennes/ Pour avoir conspiré./ Ce fuyard de Varennes est donc guillotiné ».
A suivre, part. 3, Les maîtresses du roi de France.
Frédéric Bidouze